09.03.2025

Conserver une industrie clé dans le pays : pas de vente de « Beyond Gravity » !

Déclaration de Pro Militia : Maintenir un fleuron de l'aérospatiale dans le giron de la Confédération, sous une forme encore à définir, est une priorité stratégique pour la Suisse. Comme Beyond Gravity n'a pas encore été vendue, la Suisse a encore le temps de faire le bon choix et de garder cette entreprise d'intérêt national sous le contrôle de la Confédération, selon une forme encore à définir.

Les conséquences de la vente d'Ammotec sont encore incertaines

La Confédération a décidé de se séparer de Beyond Gravity, qui fait partie de RUAG International, affirmant que la participation de la Confédération dans RUAG International visant à « garantir l'équipement de l'armée » ne se justifie plus. De fait, la dissociation des activités de l'ancienne société RUAG Holding SA, décidée en mars 2018, a conduit le Conseil fédéral à attribuer le secteur spatial (Beyond Gravity, anciennement RUAG Space) à RUAG International Holding SA. C'est ensuite en mars 2023, qu'a été prise la décision de se séparer de Beyond Gravity et de procéder à sa vente à un acheteur occidental par le biais d'une procédure d'enchères. Le Conseil fédéral a également posé comme condition que la vente soit effectuée auprès d’un acheteur dont les intentions stratégiques sont à même de préserver les intérêts de la Suisse en matière de politique de promotion de la place économique, de politique spatiale et de politique de sécurité. Cependant, les intentions stratégiques d'un acquéreur sont susceptibles de changer, parfois très rapidement comme le démontrent les changements d'orientation politique aux États-Unis. Dans le même registre, il est encore trop tôt pour connaître toutes les conséquences, ne serait-ce que celles à moyen terme, de la vente en 2022 de la fabrique de munitions Ammotec par la Confédération. La situation est incertaine, notamment en ce qui concerne le maintien de l'entreprise à Thoune après le délai de cinq ans stipulé dans le contrat de vente. Rien n'est moins sûr.

La vente de Beyond Gravity n'est pas dans l'intérêt du pays

S'en séparer serait une véritable ineptie et démontrerait un manque de clairvoyance manifeste. Cela irait également à l'encontre de l'intérêt du pays, car cela priverait la Suisse d'un rayonnement international dans des domaines technologiques et industriels essentiels au bon fonctionnement de l'économie et à la sécurité des pays du monde entier. En effet, Beyond Gravity figure tout simplement au 4ème rang des acteurs de l'industrie spatiale européenne, après Airbus, Thales et l'entreprise allemande OHB System AG. Elle produit par exemple les composants de pointe qui équipent de nombreux satellites ainsi que les fusées Ariane et Vega. Ainsi, renoncer à Beyond Gravity, reviendrait à priver la Suisse de leviers d'influence industrielle et de négociation dans le domaine de l'industrie de sécurité et de défense. À l'inverse, reconnaître l'importance clé de Beyond Gravity pour la sécurité, son potentiel d'innovation et son dynamisme industriel témoignerait d'une vision stratégique à long terme. Dans un contexte économique tendu, disposer de capacités industrielles de pointe et de compétences technologiques exclusives – par exemple dans le domaine spatial, comme en possède Beyond Gravity – peut s'avérer d'une grande utilité lors de négociations.

Éviter la dépendance technologique

L'acquisition de certains éléments ou composants essentiels nécessite parfois l'accord de gouvernements étrangers. Force est de constater que la dépendance technologique de la Suisse envers des pays étrangers pour des composants clés, dont la disponibilité est soumise à des autorisations ou à des contrôles gouvernementaux, ne cessera d'augmenter à l'avenir, notamment dans un contexte géopolitique marqué par des tensions accrues. À ce titre, on peut notamment relever que Washington limite actuellement l'accès de la Suisse aux puces informatiques d'intelligence artificielle (microchips). Elle continuera à en recevoir, mais en quantité limitée. Disposer de technologies et de compétences exclusives (single source) dans des domaines industriels clés, comme le spatial, constitue un levier de négociation dans des cas similaires à celui décrit ci-dessus. A ce propos, le directeur de l'Agence Spatiale Européenne (ESA) indiquait dans une interview récente, que sans la technologie suisse, il n'y a pas de fusées européennes et que Beyond Gravity est la seule entreprise en Europe à fournir, entre autres, la coiffe des fusées telles que l'Ariane 6. Se priver d'une telle opportunité serait de la négligence.

Une infrastructure critique dans un contexte géopolitique en mutation

Force est par ailleurs de constater que la donne a radicalement changé du point de vue géopolitique et sécuritaire. La guerre en Ukraine a démontré de manière flagrante l'importance des capacités spatiales pour la défense et la sécurité. Le domaine spatial peut être considéré, à juste titre, comme une infrastructure critique aussi bien pour la sphère civile que militaire. L'interruption des services spatiaux peut affecter significativement le bon fonctionnement de la société, de l'économie ou de l'État. La Suisse n'est pas à l'abri.

De fait, la vente de Beyond Gravity est un enjeu de dimension stratégique tant pour notre industrie et notre économie – il en va d'une certaine souveraineté industrielle et technologique – que pour notre sécurité et notre défense. Il s'agit de déterminer le degré de dépendance ou d'indépendance du pays dans les domaines de la technologie, de l'industrie, de la recherche, de la numérisation, du spatial et de la défense, pour ne citer que ceux-ci. La prise de conscience des enjeux liés à la souveraineté technologique doit contribuer, à terme, à réduire la dépendance de la Suisse vis-à-vis de l'étranger dans des domaines clés, tel que le spatial, et de s'assurer que le pays dispose de compétences technologiques, de connaissances et de capacités industrielles essentielles.

Garder Beyond Gravity, c'est élargir la marge de manœuvre

En maintenant Beyond Gravity sous contrôle de la Confédération, sous une forme à définir, la Suisse réduit ses vulnérabilités, renforce sa sécurité, développe ses capacités de défense et augmente sa marge de manœuvre, conformément aux les objectifs de la politique de sécurité fixés par le Conseil fédéral lors de sa séance du 20 décembre 2024. En effet, l'entreprise représente un atout stratégique majeur, car son savoir-faire et ses capacités technologiques sont essentiels au maintien de la position de la Suisse dans le domaine spatial. Pour certaines technologies, Beyond Gravity est en situation de fournisseur unique (single source), ce qui signifie qu'il est la seule source pour le produit ou le service demandé. Cela représente une certaine dépendance de l'étranger envers la Suisse, et permet de maintenir un levier d'influence industrielle.

Combiner les forces de l'État et du secteur privé

Comme alternative, notamment en ce qui concerne le financement, il semble possible de combiner les forces de l'État et du secteur privé. Par exemple, une vente de 49 % ou moins pourrait fournir les fonds nécessaires au développement de l'entreprise tout en conservant une majorité qui permettrait de sauvegarder les intérêts nationaux. Un modèle similaire à celui de Swisscom (société anonyme de droit public) ou le maintien d'une minorité de blocage pourraient également être des alternatives envisageables. Cela permettrait non seulement de renforcer la position stratégique de la Suisse, mais aussi de tirer parti du développement phénoménal du domaine spatial et des technologies qui s'y rapportent pour renforcer notre économie et garantir notre sécurité.

L'enjeu est de dimension stratégique. Que ce soit pour les télécommunications, la géolocalisation, les prévisions météorologiques, l'observation et donc pour l'anticipation et la liberté d'action du pays, les capacités spatiales sont essentielles. À une époque où la course à l'espace atteint des niveaux sans précédent, la Suisse doit rester un acteur clé et ne pas devenir un simple spectateur. À cela s'ajoute le fait que les programmes spatiaux contribuent de manière significative au développement technologique, industriel et économique global d'un pays. La Suisse ne fait, ici, pas figure d'exception.

Ainsi, il s'agit de préserver le savoir-faire, de renforcer la compétitivité et l'autonomie technologique du pays, au lieu de brader à court terme le tout au plus offrant. Vendre une telle compétence équivaut à un aller simple, sans retour possible. Si la Suisse décide de se séparer de cette capacité, elle ne pourra pas revenir sur sa décision dans un avenir proche. En revanche, le maintien de cette activité permettra de sauvegarder une certaine indépendance pour l'avenir.

Association Pro Militia